Textes fondateurs

1786 - Les Grandes Constitutions

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En 1763, débarqua dans l’île de Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti) un négociant français, Etienne Morin, qui était coutumier de ces longs voyages, de la métropole vers les colonies.  Natif de Cahors, Morin, alors âgé de 46 ans, aimait le violoncelle et par-dessus tout, la franc-maçonnerie. On l’avait vu en France et dans les îles, collectionnant les hauts-grades et créant des loges, à Bordeaux, à Abbeville et ailleurs. Il était muni d’une patente que lui avait donnée, en 1761, la Grande Loge de France, patente signée par les plus hauts dignitaires parisiens. Elle lui donnait le droit de créer et de former une loge « pour recevoir et multiplier l’Ordre Royal des Maçons libres et acceptés dans tous les degrés parfaits et sublimes », de diriger ladite loge sous le titre de la « Parfaite Harmonie » et enfin elle le nommait « Grand Inspecteur dans toutes les parties du Nouveau Monde ».

Dès son arrivée, il mit ses pouvoirs à exécution. Il créa en 1764, à Port-au-Prince, la loge La Parfaite Harmonie et dans la foulée nomma les premiers députés Grands Inspecteurs généraux, dont Henry Andrew Francken qui ouvrit, en 1767, à Albany, état de New York, la première loge de perfection sur sol nord-américain.

Mais il fit plus : il organisa en une série cohérente les grades « écossais » qu’il amenait dans ses bagages et les coiffa d’un degré ultime, le « Prince du Royal Secret » qu’il inventa pour la cause et qui jamais n’exista en France, avant qu’il n’y soit introduit bien plus tard, en 1804, par un de ses lointains successeurs, Germain Hacquet. Ce Rite nouveau, en 25 degrés, Morin l’appela « du Royal Secret » et non « de perfection » quoiqu’en disent les historiens actuels de la maçonnerie. 

Pour couronner le tout, le même Morin rédigea sans doute les « Statuts et Règlements pour le gouvernement de toutes les loges royales régulières de perfection », plus connus sous le nom de « Constitutions de 1762 ». Comportant 35 articles, elles décrivent le fonctionnement du Rite et son gouvernement par un Souverain Conseil des Princes Sublimes, la distribution des 23 hauts-grades du Rite et les délais de promotion entre chacun d’eux. Son article 1er rappelle que « nulle personne ne sera initiée dans les mystères sacrés de cet éminent grade, s’il n’est pas soumis aux devoirs de la religion du pays où il doit indispensablement en avoir reçu les vénérables principes ».

Ces Constitutions sont mieux connues sous le nom de « Constitutions de Bordeaux de 1762 », une légende voulant qu’elles aient été rédigées dans cette ville par neuf commissaires dont la trace aurait été perdue. La légende est tenace, d’autant que la première version imprimée qu’on en ait gardée ne fut publiée qu’en 1832. Il en existe heureusement des versions manuscrites plus anciennes dont celle copiée par Henry Andrew Francken en 1771. Toutes situent le lieu de leur rédaction de façon très fantaisiste : en France et en Prusse, à Paris et Berlin, à l’Orient de B…, à Bordeaux enfin. Le plus probable est qu‘elles furent rédigées à Saint-Domingue par Morin lui-même. En effet, il avait reçu les « Nouveaux Statuts et Règlements », arrêtés par la Grande Loge de France en 1763. Or la lecture des Constitutions « de 1762 », Alain Bernheim l’a démontré, révèle qu’elles ne sont qu’une paraphrase du document réglementaire parisien, le rédacteur s’étant contenté de remplacer les titres et offices d’une Grande Loge en ceux utilisés dans un organisme de hauts-grades (loge par chapitre, vénérable par président d’un conseil, Grande Loge par Grand Conseil des Sublimes Maîtres…).

Morin décéda en 1771 à Kingston (île de la Jamaïque) mais son œuvre fut poursuivie par ses successeurs. On connaît ainsi une liste ininterrompue de « députés Inspecteurs généraux », titre bientôt remplacé par celui de « député Grand Inspecteur Général », de 1771 à 1801, année qui vit la fondation, à Charleston (Caroline du Sud) du premier Suprême Conseil du monde des « Grands Inspecteurs Généraux ». 

Que sont, dans leur contenu et dans leur texte, ces Grandes Constitutions ? On ne peut hélas répondre clairement à cette question précise ». Ainsi s’exprimait Naudon en 1978, en ajoutant : « la première publication n’en sera faite qu’en 1832 dans le Recueil des Actes du Suprême Conseil de France ». L’affirmation est surprenante… et inexacte car plusieurs versions manuscrites antérieures au Recueil nous sont parvenues, toutes très semblables sinon identiques.

En effet, chaque Grand Inspecteur général recevait une copie manuscrite des Grandes Constitutions mais il devait s’engager par écrit à ne jamais les communiquer à un maçon de grade inférieur sans l’autorisation du Suprême Conseil. Le respect de cette interdiction, inattendu dans le milieu maçonnique, explique qu’il fallut attendre 31 ans pour que soit enfin publié le texte intégral des Grandes Constitutions. Nous en connaissons heureusement plusieurs versions manuscrites, dont deux sont conservées à Bruxelles, l’une dans les archives du Suprême Conseil pour la Belgique (Rue Royale), certifiée par Grasse-Tilly lui-même, l’autre conservée à la bibliothèque royale de Belgique et qui appartint au général baron de Fernig, Grand Chancelier puis lieutenant Grand Commandeur du Suprême Conseil de France sous la Restauration. 

Le même Naudon, comme d’autres d’ailleurs, semble considérer comme allant de soi que ces Constitutions furent écrites en français. Rien ne permet une telle certitude. En effet, les deux plus anciennes versions connues sont écrites l’une en anglais, l’autre en français. 

Le manuscrit anglais est de la main de Frederick Dalcho12, premier lieutenant Grand Commandeur du Suprême Conseil du 33° degré. Conservé dans les archives du Suprême Conseil de la Juridiction Nord des Etats-Unis, il est reproduit dans l’ « History of the Supreme Concil, 33°, (Monther Concil of the World) Ancien and Accept Scottish Rite of Freemasonry Southern Jurisdiction, USA 1801-1861 », R.B.Harris et J.D.Carter.

Le manuscrit français, « légalisé » et signé par Jean Baptiste Marie Delahogue (1744-1822) est conservé au fonds Kloss, bibliothèque du Grand Orient des Pays-Bas (La Haye). Il s’intitule « Copie Originale. Rit Ecossais Anc. Et Accepté. 33° degré. Souv. Gr. Inspecteur Général ». Outre le texte des Grandes Constitutions, il contient également le rituel et l’instruction du grade. C’est cette version qui fut publiée, avec quelques variantes, dans le « Recueil des Actes du Suprême Conseil de France », publié par l’imprimerie de Sétier en 1832.